Peindre ce qui vient vers nous, par Pierre Tal Coat

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Pierre Tal Coat (1905/1985) est un très beau peintre aujourd’hui relativement méconnu des plus jeunes, l’exposition rétrospective magistrale que lui consacra en 1976 le Grand Palais, dans un accrochage imaginé par le poète André du Bouchet, datant quelque peu.

Les éditions strasbourgeoises L’Atelier contemporain font aujourd’hui revivre son œuvre, et sa parole, à travers une belle publication, Pierre Tal Coat, l’immobilité battante, reprenant un entretien avec l’éditeur Jean-Pascal Léger ayant eu lieu dans son vaste atelier de Dormont en 1977 – en ouverture, un ensemble de photographies prises par Jean Dieuzaide en 1982 – pour une émission de radio en cinq parties commandée par le maître des voix de la nuit, Alain Veinstein.

Autour d’eux, près des verrières, plus de mille tableaux en cours de réalisation.

dessin au crayon gras, 1976

Fou de peinture, pratiquant son art depuis plus de soixante ans, Tal Coat recherche un dialogue profond entre ses toiles et la nature, leur confusion peut-être, faisant de chaque rencontre, avec les vivants qui passent et les lieux remués lors de longues marches, l’occasion d’une conversation profonde sur le sens de l’être au monde.

Les quinze photographies de Jean Dieuzaide sont impressionnantes, qui montrent moins des toiles savamment disposées à la verticale sur le sol, que les tables de la Loi d’un peintre ayant brisé les idoles, mais ce pourrait être aussi les stalles enchevêtrées d’un cimetière juif en expansion, ou des tuiles de réalité détachée comme on jette un miroir explosant dans une forêt obscure.

Des abstractions ? Non, des territoires singuliers bruissant de paroles incroyables, très précises malgré leur inconnu, des méditations actives.

dessin au crayon gras, 1976

Les paroles de Tal Coat, ami du phénoménologue Henri Maldiney (ouvrir le rien), paraissent d’ailleurs assez souvent celles d’un moine zen : « On traîne souvent des idées, il faut s’en débarrasser. Elles sont utiles bien sûr mais souvent, en croyant toucher le monde, on ne touche que ses propres idées. »

« La lumière est plus impénétrable que l’ombre. »

« C’est la surface qui révèle le fond. »

« On pense que le regard va chercher les choses, alors que c’est la lumière qui vient vers vous, c’est le monde qui vient vers vous, ce n’est pas vous qui allez au monde. »

« Il n’y a pas de hiérarchie sous la lumière. »

« La réalité n’est pas le savoir. »

Peinte-paysan comme il y a des prêtres-soldats, Tal Coat est attentif aux ombres dans la lumière, aux mouvements des pierres qui se dressent ou s’abattent, au grand dehors, au brassage des arts premiers, qu’ils soient romans ou celtiques ou de légendes diverses.

dessin au crayon gras, 1976

Tout commence par un lieu, une campagne, une toile à explorer, labourer, retourner.

Entre les points, entre les dessins, il y a le temps, qui est un mystère, comme la grande circulation de l’être entre les choses.

Au peintre la tache de se rendre disponible à ce qui vient, trouble, bouleverse, confirme.  Garder l’espace ouvert, le corps prêt au saisissement.

Fantôme de monde à sentir, penser, traverser.

Des reproductions de dessins au crayon gras enrichissent cette nouvelle édition de L’immobilité battante – première publication en 2007 aux éditions Clivages – qui donnera sans nul doute envie de redécouvrir une œuvre sans concession.

Qu’une peinture se lève et vienne à vous.

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Pierre Tal Coat, L’immobilité battante, entretien avec Jean-Pascal Léger, photographies de Michel Dieuzaide, éditions L’Atelier contemporain, 2017, 120 pages

Editions L’Atelier contemporain

leslibraires.fr

Se procurer Pierre Tal Coat, L’Immobilité battante

Tal Coat au Domaine de Kerguéhennec (Morbihan)

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