Les visions de Bernadette, par Marie Cosnay, conteuse

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Dans Vendredi ou la vie sauvage (1971), Michel Tournier imagine une très belle scène : Robinson a découvert dans le fond d’une grotte un refuge où retrouver la volupté de son enfance chaque fois que des doutes et que la mélancolie l’assaillent.

Dans Aquero, de Marie Cosnay, la grotte où tombe son héroïne joue un rôle similaire, lieu propice au ressouvenir et aux apparitions.

Faut-il chuter pour s’élever ? Faut-il s’abandonner pour se retrouver ? Faut-il écrire pour voir vraiment ?

En une succession de courts chapitres non titrés, tels des plans coupés cut, Marie Cosnay invente une marche de guingois, un déséquilibre, un vertige, entre surgissement d’une biche dans les bois et écran du smartphone brisé.

Tonnerre, feu, rêve, enfance, théâtre du corps de la femme du sous-sol.

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Bernadette Soubirous ou Lewis Carroll même combat ? « Je sais maintenant comment j’ai pu glisser dans une faille qui donnait dans une grotte. J’avais rapetissé. J’étais toute petite et légère, un poids de rien du tout. Je tiens à le dire : mon vrai poids. Le poids que je me pèse. La tête que je me fais. Désormais c’est mon poids et ma tête. »

Des paragraphes de vision comme des flashes, ou des pics d’immémorial.

On ramasse des branches, comme Bernadette, on se penche, et le monde vrille sur la pointe d’une aiguille de pin.

On se retrouve soudain petit bout de femme à capuche dans le magdalénien, Venus de Lespugue à tourner dans tous les sens.

Commence dans la chambre noire une métamorphose. La laïque, la mystique.

« La question bien après que la petite a vu et parlé, à peine, s’est posée ainsi : elle a vu aquera, accent sur le « e », c’est-à-dire, fille, fée ou déesse ou bien elle a vu la lumière à l’état de lumière : aquero, l’accent sur la dernière syllabe, ceci, neutre ? »

Entre le neutre (version officielle) et le féminin (version  patois), il y a toute la différence d’une chose à un être.

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« Dans cette histoire il y a des cochons, un cachot où vit la famille Soubirous, des meuniers ruinés » : c’est un conte, un « roman d’espionnage ». Du merveilleux, de l’eau, des présages. Des miracles. Comme chez Claude Ponti : « Ici il y a toujours trop de bouches à nourrir. »

Et dans ces années 1850, on a faim.

L’adolescente de Lourdes a vu ce que peu d’autres ont vu, vous ne lui enlèverez pas ça.

Et la Sainte Vierge sauve qui elle veut dans la grotte de Massabielle.

« L’abbé quand elle a dit ça s’est troublé, il est devenu tout rouge, il est devenu un abbé romanesque qu’une gamine trouble. »

Bernadette joue, converse avec le vide, sourit. Elle pèse une tonne à présent. On entend gronder le gave. Y rentrer nue, revêtir une robe flottante.

« Ces filles qui vont au miracle, y vont simples et sans couronne. »

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La Vierge parle, n’écrit pas.

La légende n’est pas douloureuse, pas encore, il y aura des obstacles, des insultes, des étouffements. On enquête, on enquêtera.

Ce que vous avez lu n’était pas une illusion, mais la rencontre entre une petite paysanne, une narratrice, et un peuple.

Bernadette est malade, on la touche, elle pardonne tout.

Tiens, sur le sol, là-bas, il y a un smartphone. On entend une voix.

Tu es là ? Sors un peu pour voir.

Marie Cosnay a quitté l’infirmerie de son enfance, elle est désormais une grande personne dont le corps est une mosaïque de livres, et qui se demande bien ce que parler veut dire, seule, ou avec les autres, par exemple ceux qui trébuchent, inspirent, ou ont le don de voyance.

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Marie Cosnay, Aquero, éditions de L’Ogre, 2O17, 120 pages

Editions de L’Ogre

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