Les premières fois de l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen

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La première fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était dans le volume Nu debout, 1961 publié par les éditions Edwarda (2017), pour sa méditation consacrée à Marilyn Monroe apparaissant sur une photographie de tournage de The Misfits (John Huston, 1961), ouvrage collectif proposant les textes de William Faulkner, Jean-Paul Enthoven, Sam Guelimi, Yannick Haenel, Dominique Ristori, et de moi-même.

La première deuxième fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était pour son essai Luchino Visconti. Les Promesses du crépuscule (éditions Les Impressions nouvelles, 2017). Dans l’entretien que nous avons mené pour L’Intervalle, nous pouvons lire ceci : « Derrière la déchéance de l’aristocratie, l’écrasement du peuple par la bourgeoisie, la décadence de grandes familles nobles ou de familles de prolétaires dépeints dans Le Guépard, Senso, Les Damnés, La Terre tremble, Rocco et ses frères…, des nappes phréatiques porteuses d’inédit, d’espoir couvent sous une Histoire opacifiée, prise par Thanatos, creusant des sillons sous la désagrégation de la micro-histoire et de la macro-histoire. »

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La première troisième fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était pour son essai sidérant sur l’écrivain Hélène Cixous, La langue plus-que-vive (éditions Honoré Champion, 2017). On peut lire dans notre conversation publiée dans L’Intervalle : « Sa découverte fut de l’ordre d’une reconnaissance dans l’étrangeté, d’un emportement fasciné. Etat de grâce de me heurter à une pratique de l’écriture qui la désaxe, qui l’ouvre aux grands vents du large, qui réinvente un langage-corps, qui questionne l’identité, le réel, le pensable. Je suis entrée dans la terre cixousienne par Osnabrück, puis Or. Les lettres de mon père, je me suis jetée dans Portrait du soleil, L’Exil de James Joyce, Le Prénom de Dieu, Dedans, Portrait de Dora, les pièces de théâtre écrites pour Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil. Depuis, j’attends chaque publication d’HC comme un lever de soleil. Le paradoxe vient de la reconnaissance : me heurter à une œuvre radicalement autre, qui ne relève pas plus de la veine avant-gardiste expérimentale que de la littérature sous sa forme canonique, qui invente une voie à l’écart de ces deux courants, et éprouver une absolue sororité face à un dispositif d’écriture inouï. »

La première quatrième fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était pour ses poèmes accompagnant des photographies de Sadie von Paris dans le beau livre Gang blues ecchymoses (Al Dante, 2017). Nouvel entretien : « J’ai capté le travail de Sadie comme une mise en scène viscérale, organique de rituels ivres de dangers, de promesses, comme des initiations à la fois physiques et spirituelles afin de pousser des portes de la perception, d’entrer dans des zones de vie à l’écart de ce qu’offre la société. Une des séries de Sadie s’appelle en outre « Les rituels ». Derrière les rites, est tapi le désir d’évasion, de quête de mondes alternatifs, d’action sur le réel aussi. Voire d’exorcisme de tout ce qui emprisonne. Loin de toute résignation à ce qui est. Le présent balance tant d’obstacles à une jeunesse, à des existences qui se veulent libres, à l’écart de la centrifugeuse-broyeuse que l’affirmation de micro-univers doit en passer par des rituels. »

La première cinquième fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était pour son intervention dans le numéro 34 de la revue Lignes (Ici et Maintenant, Lignes 1987-2017) à laquelle elle participe depuis de nombreuses années. On peut y lire : « Sauter à pieds joints du rêve de révolution à la révolution intérieure, collective, non anthropocentrique, animale, environnementale, écosystémique, intime, extime, politique, poétique. »

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La première sixième fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était pour son récit Jamais. Voici un extrait de ce que j’en écrivais il y a quelques semaines : « Le crâne bourré de « tessons de dynasties franques », une vieille femme s’insurge, dans un monologue de plus d’une centaine de pages inventé par l’incandescente Véronique Bergen (Jamais, éditions Tinbad), contre les atteintes de toutes sortes portées à son intégrité physique et mentale, par les supposés bienveillants de la normopathie sociale, par sa fille, par son corps lui-même dans ses moments de traîtrise. »

La première septième fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était pour ses textes critiques dans la revue Art Press (décembre 2017) sur Patti Smith, Frank Smith et Linda Lê.

La première huitième fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était il y a quelques jours pour le récit de ses Premières fois (éditions Edwarda, 2017 – collection Climats), de la virginité des premiers éblouissements. On y lit : « Les ondes sexuelles que Catherine émet me niagara depuis des semaines. Aimantation sensuelle, étreintes furtives, premiers baisers… ma bouche qui a connu la sienne ne veut plus la quitter. » Premier bord de mer, Première rencontre avec la drogue, Premier contact avec l’univers des livres, Première expérience de la perte, de la séparation, Premier rituel magique, Première angoisse, premiers démons, Seconde fois érotique. Cette confidence : « Le vide, mon pire ennemi, me tient en joue. Sous mes pas, des mottes de terre se détachent, roulent dans l’étang en deuil. Je bilboquet dans une fable cruelle. »

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La première neuvième fois cette année que j’ai lu l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, c’était hier, dans le numéro 8 de la revue PLI, intitulé « Pour une littéralité incendiaire ». Elle y est en bonne compagnie (Julian Blaine, Luc Bénazet, des poètes anglophones), un texte important de Jean-Marie Gleize inspiré par Francis Ponge sur la  notion du « documental » et du « livre d’images sans images » donnant la tonalité  de l’ensemble. L’incipit est laissé à l’Ardente : « Je suis la sentinelle de Gaïa. Je ne suis au service de personne, je n’ai basé ma cause sur rien. Je promène ma colère à la surface du monde. Ma mission ? Raccourcir la vie des oligarques les plus nuisibles, tenir leur existence au creux de ma main ornée d’un flingue, compter les taches que le Soleil développe à gogo depuis des années, faire le bilan des déroutes. Trois coups de Stromboli à la chantilly et les ennemis de Gaïa retournent dans les limbes du silence éternel. Ma fibre élégiaque s’accommode mal du sang, des viscères explosés sous une lumière estivale. Esprit délicat, âme tourmentée dans une complexion robuste, je dois donner la mort comme on donne la vie, en m’alignant sur la beauté du résultat. » Pli, « projectile littéral » ? Guerre, poésie, fièvre, violence, tendresse, expérimentation formelle. Economie de moyens, ambitions illimitées.

Et puis, il y a toutes ces fois, où, je ne le savais pas encore, je lisais l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen dans les revues Edwarda et La Nouvelle Quinzaine Littéraire.

Vous l’avez compris, avec l’étrange et merveilleuse Véronique Bergen, la révolution commence par la littérature permanente.

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Nu debout, 1961, textes de Veronique Bergen, Jean-Paul Enthoven, William Faulkner, Sam Guelimi, Yannick Haenel, Fabien Ribery, Dominique Ristori, éditions Edwarda, 2017, imprimé sur Pur coton absinthe 120 gr à 300 ex dont 50 exemplaires en tirage hors commerce, 44 pages. Format : 13cm x 19cm

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Véronique Bergen, Luchino Visconti, Les Promesses du crépuscule, Les Impressions nouvelles, 2017, 224 pages

Les Impressions nouvelles

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Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive, éditions Honoré Champion, 2017, 134 pages

éditions Honoré Champion

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Sadie von Paris & Véronique Bergen, Gang Blues Ecchymoses, éditions Al Dante, 2017

Editions Al Dante

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Véronique Bergen, Jamais, éditions Tinbad, 2017, 126 pages

Editions Tinbad

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Revue Lignes, Ici et Maintenant, 1987-2017, octobre 2017, numéro 54, 238 pages

Revue Lignes

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Revue Art Press, décembre 2017, 98 pages

Art Press

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Véronique Bergen, Premières fois, éditions Edwarda, 2017, collection Climats, 104 pages

Découvrir Edwarda

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Revue Pli, textes et illustrations de Eric Arlix, Luc Bénazet, Véronique Bergen, Julien Blaine, Sandrine Cuzzucoli, Pierre Chopinaud, Dante Fiasco, Andréa Franzoni, Jean-Marie Gleize, Julien Ladegaillerie, L.L de Mars, Jean-Christophe Pagès, Serge Quadruppani, Esther Salmona, Stéphane Sangral, Mathieu Tremblin, Michel Vachey, 2017, numéro 8

Site de la revue Pli

(Les peintures illustrant cet article sont de la Mexicaine Nahui Olin, également modèle sur les photographies reproduites ici – j’évoquerai bientôt dans un entretien avec Nicolas Comment cette artiste majeure)

(Toute ressemblance envisagée avec Véronique Bergen ne serait-elle pas de l’ordre du délire ?)

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