Scènes de crimes dans le Deep South, par le photographe Morgan Ashcom

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© Morgan Ashcom / MACK

Auteur du remarqué Leviathan (Peperoni Books, 2015), Morgan Ashcom est un photographe américain né dans l’Etat de Virginie en 1982, vivant et travaillant actuellement à Charlottesville.

Dérives urbaines et rurales prenant pour point d’appui flottant la petite ville de Hoy’s Fork, dans le Sud des Etats-Unis, What the Living Carry (MACK, 2017) est une tentative d’approche d’un territoire épais, mystérieux, dont rend compte une carte faite à la main à découvrir sur papier libre en fin de volume.

Se présentant dans un beau format vertical, alternant le noir & blanc et la couleur, des impressions sur demi-page, pleine page, double pages, bordées de blanc ou non, de dimensions diverses, What the Living Carry est un objet sophistiqué, et très intrigant.

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© Morgan Ashcom / MACK

Le cadre général est d’abord donné : une maison rouge et bleue en bordure de bois, du lierre grimpant sur une structure sphérique posée dans l’herbe, un supermarché modeste (Family Dollar), une femme blonde debout, la cinquantaine environ, en baskets, short, bras nus et chaussettes de tennis, adossée à l’entrée d’un garage de réparation. Elle fume une cigarette et semble perdue dans ses pensées. Sa mélancolie est perceptible.

Un sentiment de vide existentiel gagne le spectateur.

Nous sommes ici dans une ville à l’abandon, où l’ennui a pris une dimension métaphysique.

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© Morgan Ashcom / MACK

Où sont les enfants ? Où sont les rires ? Le Department of family and children services est peut-être fermé depuis longtemps. Et s’il ne l’est pas, qui oserait y déposer la fleur de son cœur ?

Sous la surface, les réseaux de routes quadrillant l’espace d’une façon rationnelle, il y a du verre pilé, des brisures, des tremblements d’être, des litres d’alcool jetés dans les abysses.

Faut-il encore nettoyer le pare-brise du visiteur de la boue qui l’encrasse ?

On ne sait rien, tout est fiction, distance, solitude, feux rouges, entrepôts fermés.

Une tombe, un chien errant, la beauté d’une branche épineuse.

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© Morgan Ashcom / MACK

Un retraité lève le drapeau américain, il y a une tempête, des arbres déracinés, quelques hommes effondrés.

Il doit être dimanche pour que la rue principale soit à ce point déserte. La peinture d’un Indien tenant son mustang se met à parler dès que nous avons tourné la page.

Un jogger regarde son portable, alors que près de lui, sur l’autre trottoir, un homme assis sur une chaise au coin d’un immeuble est un atlante dérisoire.

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© Morgan Ashcom / MACK

Il y a des gouttes de sang sur les dalles de béton, des commerces depuis longtemps barricadés, un homme étendu sur le sol. Et, sous les arbres froids, un cadavre que protège un linceul.

Certaines images sont d’une banalité doucement ironique, mais l’ordinaire est ici une scène de crime.

Que reste-t-il du Sud mythique ? Un ouvrier noir lavant une palissade blanche en gants verts, un aristocrate en pantoufles affalé sur le perron de sa demeure, une bouteille de mousseux dressée à côté de lui, une nature souveraine reprenant peu à peu ses droits sur la petite race humaine.

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© Morgan Ashcom / MACK

Des canettes écrasées près d’un plan d’eau renoirien, un chat à l’œil crevé, une empreinte de fer à cheval comme un signe de vengeance, un matelas souillé, indiquent le dérèglement, la déréliction, la maladie, le mal.

On peut lire sur la reproduction d’une lettre tapée à la machine à écrire provenant du Center for Epigenetics and Wellness of the Spirit de Hoy’s Fork : « Anyhow, I hope you enjoyed your visit here in the Fork- a sanctuary where all is culture, graciousness, refinement and « bidnis »-like common sense and so forth. »

Vous ne riez pas, c’est le cauchemar de l’Amérique.

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Morgan Ashcom, What the Living Carry, MACK, 2017, 144 pages

MACK Edition

Site de Morgan Ashcom

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