Comptoir des ombres, ou le livre des roitelets de Bretagne, par Jacques Josse, poète, éditeur, bluesman

Gwin Zegal
© Michel Thamin

La littérature, c’est fait pour célébrer les vivants, mais aussi les morts, et remercier la mémoire qui les lie.

La littérature, c’est fait aussi pour que Jacques Josse salue ses amis des deux rives et des quatre coins des champs, les noyés de l’alcool et ceux du Léviathan, Médée déchirant ses enfants les jours de tempête.

Perdus en mer, dit-on, avant que l’église ne se remplisse de pleurs, de visages graves et d’ex-voto, ces nefs d’enfants flottant sous la nef de Dieu.

On s’attarde un peu parmi les rescapés, il fait nuit, le bar est encore ouvert, qui s’appelle Comptoir des ombres (éditions Les Hauts-Fonds, 2017).

Lorient
© Michel Thamin

Fondateur des éditions Wigwam – 81 titres entre 1991 et 2010 -, Jacques Josse est un poète beat breton, conteur des gens de peu et des naufragés immenses, des disparus modestes et des buveurs phénoménaux.

A la façon d’Edgar Lee Master, faisant parler les tombes dans Spoon River (1915), l’auteur de L’ultime parade de Bohumil Hrabal chante, en un ensemble de textes écrits dans une prose poétique noire et lumineuse, le blues des hommes du bas-côté, la rumeur des bouilleurs de cru, le pathétique et foudroyant pays du quotidien.

Scribe des fantômes, Jacques Josse est un inventeur d’histoires, un trouveur à l’écoute des bruissements de la poussière.

Sur les pages, quelques blocs de mots se tenant chaud dans la cruauté et l’abandon, des nouvelles à chute glaçante qui pourraient être des épigrammes.

pas d'attaque
© Michel Thamin

« Toutes les nuits, la chouette-effraie sort de la grange. Elle vient se poster sur le toit. Elle reste immobile, cligne des yeux, respire mal. Cela dure depuis des mois. Hubert a déjà compté quatre-vingt-dix nuits. L’oiseau est arrivé le soir où sa mère s’est couchée sans savoir qu’elle ne pourrait plus jamais se relever. Assis sur le siège d’une vieille faneuse envahie par les ronces, il manipule son lance-pierre et hésite. Il a choisi les clous et la porte. A l’entrée du cellier, surtout par nuit de grande lune, les yeux étonnés et les ailes ouvertes de la dame blanche feront leur effet. Ce sera beau et effrayant. Il en rêve, mais se demande si en supprimant le nocturne d’une pierre effilée en plein cœur, il ne risque pas de tuer également sa mère. »

En ces terres de rudesse où ce que les doctes appellent superstitions sont des réalités très concrètes, les idiots, dont la connaissance brute provient du fond des âges, sont des rois ayant plongé leur couronne dans des barriques de cidre.

« La mer n’est jamais loin. Novembre non plus. Qui pèse dans la mémoire. Honore des os et des planches. S’en prend à la lumière. Porte les séquelles d’un ciel sale qui vire au-dessus du cimetière en frôlant les feuilles de marbre où des restes de fleurs rouges saignent et maculent les noms dorés des morts de l’année. »

Ici, c’est le Menez Bré, un cheval galopant sur la départementale, les bottes remplies d’eau près du moulin de La Roche, « le jeune type au regard bleu fêlé » et le petit port de Gwin Zegal avec son mouillage sur pieux de bois.

ombres
© Michel Thamin

Il y a des amers et de hautes solitudes, des coups de feu dans la nuit et des bouches entrouvertes, des failles dans la brume et la mer en furie, des désirs de départ et des poètes amis se tenant debout dans le ressac (Alain Jégou, Michel Dugué, Danielle Collobert, Yves Elléouët, Alain Malherbe, Yves Martin).

Jacques Josse construit par fragments un climat, une sorte de roman noir s’écrivant à la lisière du fantastique et des tombeaux : « Il y a dix jours, il se pensait chien. Menton posé sur les mains, allongé à plat ventre au milieu de la cour, il jappait bruyamment. Aboyait au moindre bruit. Hurlait à la mort dès qu’il voyait la lune apparaître entre les nuages. »

Le sculpteur d’images Michel Thamin n’est pas Mario Giacomelli, mais les photographies très graphiques qu’il a offertes à Alain Le Saux (éditeur des Hauts-Fonds) sont parfaites en ces déserts costarmoricains où l’esprit se rattache à la moindre trace pour ne pas sombrer tout à fait les jours de grande mélancolie.

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Jacques Josse, Comptoir des ombres, préface de Michel Dugué, entretien avec Malek Abbou, photographies de Michel Thamin, éditions Les Hauts-Fonds, 2017, 108 pages

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  1. C’EST SI BEAU QUE MA LANGUE
    SE COLLE,GELÉE
    A MON LUGUBRE PALAIS
    DÉSERTÉ

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